Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Blog de Bénédicte
17 décembre 2009

Critique du film de marcel Ophüls sur la profession de journaliste reporter de guerre

Veillées d'armes

Marcel Ophüls est le fils de Max Ophüls, célèbre réalisateur et de Hilde Wall, actrice. Il réalise plusieurs documentaires sur des sujets délicats de son époque. Son film Veillées d'armes est un reportage sur les journalistes correspondants à l'étranger et plus particulièrement sur ceux qui couvrent la guerre de Bosnie-Herzégovine, de 1992 à 1995. Ce documentaire pose les différents problèmes rencontrés par les journalistes de terrain, notamment en temps de guerre comme l'éthique ou le traitement du sujet. Le reportage dure un peu moins de quatre heures et s'intéresse aux journalistes de tous bords : radio, presse écrite, télévision...

Marcel Ophüls, dès les premiers instants du film, donne sa définition du journaliste reporter de guerre : « Il doit montrer contre la censure, contre le patriotisme, contre le chauvinisme, ce qu'est vraiment la guerre. » Ce n'est pourtant pas une mince affaire. En effet, le journaliste de guerre doit faire face à beaucoup de pressions. Les gouvernements ne sont pas défenseurs de la vérité mais de leur image. Ainsi, les histoires un peu trop dérangeantes sont passées à la trappe. L'interview de Nikola Koljevic par John Simpson en montre un exemple frappant. Le journaliste fait remarquer qu'on entend des tirs au loin, et Koljevic de répondre : « Ce sont des pétards, c'est comme ça qu'on fête Noël ici. » Les chaines de télévision elles-mêmes sont parfois complices de cette manipulation. Pour faire passer son message, le reporter doit être le plus neutre possible et essayer de toucher le public le plus large possible. Même en temps de guerre, la loi de l'audimat est la plus forte. Certains journalistes en sont d'ailleurs très frustrés comme le remarque Alain Finkielkraut : « La Yougoslavie passait toujours derrière le sport. » C'est ce que Marcel Ophüls appelle l'information-spectacle avec en vedette, Patrick Poivre d'Arvor. À titre d'exemple, celui-ci s'était rendu 24 heures à Sarajevo. Le journal télévisé est devenu un instant de détente pour les familles et plus vraiment un moyen de s'informer. Ce qui importe en premier lieu, ce sont les nouvelles françaises ou les informations futiles. Les sujets les plus graves viennent vers le milieu du journal seulement, voire même à la fin. Cela pose le problème de la hiérarchisation des informations, qui est toujours d'actualité aujourd'hui.

Les conditions de vie en temps de guerre sont souvent déplorables pour les habitants des pays concernés. Si les journalistes sont mieux lotis en général, leurs conditions de travail n'en restent pas moins très difficiles. Pour commencer, Sarajevo est une ville où il fait très froid et où les constructions vétustes et à moitié détruites ne sont pas chauffées. Une photographe allemande confirme : « L'hôtel est à moitié détruit, il y fait très froid. Il n'y a pas d'eau chaude ni de chauffage. » Ensuite,  au niveau de la sécurité. « On est devenu des cibles » confie un journaliste de la BBC. À Sarajevo, la question est encore plus délicate que dans n'importe quelle autre guerre puisqu'il y a un danger supplémentaire : les snipers. C'est pourquoi la plupart des journalistes ont des voitures blindées et des gilets pare-balles : « On ne meurt pas beaucoup de vieillesse ici en ce moment », observe John Simpson, présentateur sur la BBC. Des irréductibles comme Paul Marchand, persistent : « Moi, je ne vois pas de correspondants de guerre, je vois des gens qui jouent à être journalistes. Ils sont aussi prudents que les militaires. » La guerre de Bosnie est l'une des plus meurtrières pour les journalistes : à l'époque du documentaire, on dénombre déjà quarante morts et une dizaine de blessés. Pour les reportages, cela peut être assez compliqué de pouvoir interviewer les militaires. À un moment, l'équipe de John Simpson part en reportage et tombe sur des soldats bosniaques. Ils prennent à parti leur interprète, une habitante de Sarajevo et l'accusent de traitrise. Ce ne sont pas seulement les journalistes qui sont en danger mais aussi tous ceux qui les aident. L'équipe de Stéphane Manier tourne à la sortie d'une messe. Une vieille femme se met alors très en colère. L'interprète traduit : « Elle dit qu'ils vont la tuer s'ils voient ça. »

Les contacts sont une grosse partie du travail du journaliste. En effet, s'il n'a pas les bons contacts, il ne peut pas savoir où se passent les opérations, où trouver tel ou tel campement. Marcel Ophüls prend l'exemple du Vietnam où l'armée accompagnait sans arrêt la plupart des journalistes. Selon lui, « on les envoyait filmer rien du tout ». Voilà pourquoi les reporters, dès qu'ils arrivent sur le terrain, cherchent immédiatement à se créer un réseau. Ainsi, dans la première partie du film, Ophüls rencontre le directeur du bureau de presse FORPRONU, implanté en Croatie, afin d'obtenir les meilleurs contacts possible et de pouvoir partir sur le terrain rapidement. En temps de guerre, les transports sont paralysés et il est important de savoir à qui s'adresser pour accéder à la ville assiégée. De plus, les journalistes sont souvent les plus mal informés. Pendant une conférence de presse, un reporter du New-York Times déclare ne rien savoir de qui contrôle le terrain.

Le documentaire de Marcel Ophüls n'a pas un format très courant : il dure environ quatre heures, ce qui est très long même pour un film. Il est très difficile d'intéresser le public pendant tout ce temps, on se lasse forcément un peu surtout qu'il y a assez peu d'action. Le point positif, c'est que le film est en deux parties, ce qui laisse un point de repère au spectateur. De plus, le premier voyage, qui correspond à la première partie, est plus palpitant car il y a plus d'action et on est réellement au cœur de la guerre. Le deuxième voyage laisse beaucoup plus de place aux témoignages des journalistes et est plus abstrait.

Au niveau du fond, l'entrée en matière est un peu longue aussi. Le réalisateur prend son temps pour expliquer l'origine de la guerre, sa définition du journaliste reporter de guerre. Néanmoins, cela est nécessaire pour comprendre le sujet du film et les enjeux de la guerre de Bosnie et pour mieux cerner le rôle de chacun dans la guerre.

Un des moments les plus marquant est la rencontre de Marcel Ophüls avec Paul Marchand. Ce journaliste est un véritable personnage qui n'hésite pas à se mettre en danger alors qu'il pourrait exercer son métier avec plus de sécurité. Il dénigre ceux qui prennent des précautions. Le spectateur se demande ce qu'il veut prouver. Une de ses phrases est aussi très marquante : « On est ici pour le rock'n'roll, pour le fun et accessoirement pour raconter l'histoire des gens. » On en arrive à se demander quelles sont réellement ses priorités. Néanmoins, c'est loin d'être le seul journaliste à tenir de tels propos. John F. Burns, correspondant pour le New-York Times dit à peu près la même chose : « Ça paraît indécent de dire qu'on s'amuse énormément dans tout ce malheur. » Cela paraît étrange pour le public de savoir que la guerre peut divertir à ce point. Pourtant, c'est une réalité qu'on entend de la bouche de nombreux reporters de guerre.

La politique a aussi une place importante dans le documentaire. À plusieurs reprises on voit des interviews d'hommes politiques serbes. C'est d'ailleurs extrêmement déroutant car on se rend compte qu'ils n'ont rien à voir avec des monstres sanguinaires. Au contraire, ce sont souvent des hommes d'une grande intelligence. John F. Burns approuve : « Ce sont des hommes raffinés à tous égards. » Cependant, ce sont des personnes prêtes à tout pour imposer leur pensée. Koljevic lui avouera même qu'il n'a aucune pitié pour la ville détruite de Sarajevo. Cela doit être assez étrange pour un journaliste de côtoyer ces politiciens qui sèment la mort mais qui ne semblent pas s'en soucier et qui donnent une image d'eux presque sympathique.

 

Au final, presque tous les journalistes s'accordent à dire qu'il faut rentrer chez soi afin de reprendre sa vie normale. C'est le cas de Martine Laroche-Joubert : « Il faut savoir rentrer à Paris et s'obliger à reprendre une vie normale. » Au niveau du moral, cela doit être pesant d'être loin des siens, en danger permanent, avec le risque que le reportage ne soit pas diffusé ou apprécié à sa juste valeur. La jeune génération présente sur la guerre de Bosnie voulait de l'aventure et vivre la guerre à chaque instant. Les reporters les plus expérimentés ont choisi les aller-retours entre Paris et Sarajevo. John Simpson en fait partie : « C'est très facile de vivre dans le milieu journalistique et d'oublier la réalité de la vie. »

Publicité
Publicité
Commentaires
Blog de Bénédicte
Publicité
Publicité